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Roland FARJON (1910-1945)

Portrait de Roland FARJON

23 juillet 1945, un corps sans vie, méconnaissable, est repêché Quai de Passy à Paris. Des effets personnels, soigneusement rangés, permettent d’identifier Roland FARJON, un des trois fils du sénateur Roger FARJON (1) (décédé six mois plus tôt) et une figure de la Résistance.

Jean Pierre Félix Roland FARJON est né à Boulogne-sur-Mer le 22 février 1910, il est l’un des héritiers de l’empire industriel « Baignol et Farjon ». Roland fréquente l’Ecole libre des sciences politiques puis, le temps du service militaire venu, l’Ecole de cavalerie de Saumur. Le fils de famille, sous-lieutenant au 9e Régiment de Dragons d’Epernay, est-il tenté par une carrière militaire ? Sans doute, mais l’emprise familiale est la plus forte et il prend la direction de Yamilé, la branche cosmétique du groupe.

Enthousiasmé par la politique, Roland FARJON rejoint le P.S.F., le Parti Social Français du colonel François de La ROCQUE (2). Roland est un militant très actif et les terres électorales du Nord-Pas-de-Calais ne sont pas des plus paisibles : les affrontements avec les militants communistes sont fréquents et musclés. Roland est un bagarreur, un meneur d’hommes, il apparaît une forme d’estime réciproque.

Le 3 septembre 1939, le lieutenant FARJON est mobilisé au 70e G.R.D.I., Groupe de Reconnaissance de Division d’Infanterie. Là encore, c’est l’enthousiasme qui domine. Le 10 mai 1940, l’offensive allemande est déclenchée. Le 22 juin, Roland est capturé avec ses hommes. Une citation élogieuse et l’attribution de la Croix de Guerre sont une maigre consolation et ne rendent pas moins amer l’Oflag VI-D de Münster. A quoi pense Roland FARJON ? Peut-être, sûrement, à sa fille qui naît le 9 juillet : un deuxième enfant, prénommé France (3). Il est certain que le moral est bas mais la captivité est de courte durée. L’intervention de Georges GLASSER, beau-frère de Roland, et ami personnel de Jean BOROTRA (4), permet une libération qui intervient en juin 1941. Quelques semaines plus tard, Roland devient chargé de mission au Commissariat général à l’Education générale et aux Sports, plus spécialement chargé des sports équestres. Très vite, l’enthousiasme revient et Roland bascule dans la Résistance, celle de sa classe politique, celle de Jacques ARTHUYS (5), d’Alfred TOUNY (6) qui mettent sur pied l’O.C.M., l’Organisation Civile et Militaire. Roland est recruté par l’intermédiaire de sa cousine, Jacqueline SOUCHERE : les responsables de l’O.C.M. cherchent un jeune, enthousiaste et infatigable… le portrait parfait de Roland.

L’O.C.M., créée par d’anciens officiers, recrute parmi les industriels, les commerçants, les professions libérales, la bourgeoisie, les fonctionnaires, les universitaires, parmi une élite souvent maréchaliste mais très anti-allemande. Le mouvement n’est pas pour autant monolithique sur le plan politique puisque les socialistes finissent par y devenir majoritaires. Son importance (7), son organisation très rigoureuse et la qualité de son activité de renseignement font de l’O.C.M. un adversaire redoutable pour l’occupant allemand. Roland FARJON est le responsable du mouvement pour la Région Nord, très dynamique.

Le 23 octobre 1943, à Paris, la police allemande fait irruption au 11 de la rue Cognacq-Jay. Le commandant René COGNY (8), le général Jean-Edouard VERNEAU (9), le capitaine Roger COUETDIC (10), tous membres de l’O.R.A. (Organisation de Résistance de l’Armée) et Roland FARJON sont arrêtés. Cette opération a été rendue possible grâce au travail méticuleux d’Hugo BLEICHER, de l’Abwehr (11), qui a réussi à infiltrer le S.O.E. (Special Operations Executive).

Roland FARJON a malheureusement sur lui un reçu qui mentionne son adresse : 24 rue de Clichy. Le SD (12) effectue une perquisition fructueuse et met la main sur de nombreux documents sur lesquels où figurent des noms et des lieux. FARJON est interrogé dans les bureaux du SD, 84 avenue Foch. Il ne peut nier une évidence : il est le chef des Forces Françaises Combattantes pour la Région A… Suprême imprudence, il porte sur lui le document qui l’atteste… Transféré à la prison de Fresnes le 28 octobre, il est ramené à Paris le 11 novembre avant d’être confié au SD de Saint-Quentin qui le confrontent à d’autres résistants arrêtés. Le 9 décembre, il part pour la prison d’Arras, puis le 17 décembre pour Lille. Roland reste à Lille jusqu’au 21 février 1944, puis navigue entre Lille et Arras avant d’être de nouveau transféré à Fresnes le 7 mai puis au Château Beaulieu à Senlis le 21 mai.

Dans la nuit du 9 au 10 juin 1944, Roland FARJON s’évade du Château Beaulieu avec Pierre PENE (13), responsable de la Région P. Blessé dans l’évasion, Pierre PENE est caché dans un hôpital. Roland FARJON rédige le 16 juin 1944 un compte-rendu des événements survenus : il y reconnaît ses imprudences qui ont conduit à des arrestations, transmets des recommandations pour en éviter d’autres et insiste sur les failles de l’organisation.

Roland FARJON gagne le maquis et l’Eure-et-Loir où Maurice CLAVEL, dit SINCLAIR, lui confie un corps-franc en forêt de Senonches. Son ami Marc O’NEILL (14), membre de l’O.C.M. et Délégué Militaire Régional de la Région P2 le confirme dans ce rôle. FARJON, devenu « Yves », y retrouve son enthousiasme combatif. Son autorité s’étend bientôt sur les groupes de La Ferté-Vidame et Dreux. Il est un des acteurs de la destruction du viaduc de Chérisy. Il participe aux combats pour la libération du nord du département, puis entre dans Paris avec ses hommes le matin du 25 août 1944.

Portrait de Roland FARJON
Roland FARJON au milieu de ses hommes en forêt de Dreux

Même si Roland ne fait pas l’unanimité, son charisme est important et ses qualités de meneur d’hommes contribuent à la création du 1er Bataillon d’Eure-et-Loir. L’amertume est grande quand il quitte cette formation pour rejoindre le 1er Régiment de Fusiliers Marins. C’est dans cette unité, où il est nommé le 30 janvier 1945 que Roland FARJON est blessé à Menton le 1er avril. Parallèlement, des plaintes sont déposées contre lui, l’accusant d’avoir donné des membres de l’O.C.M., fusillés ou déportés. Ces plaintes aboutissent à l’ouverture d’une information par le parquet de Lille. Le 18 juillet, deux policiers viennent l’informer d’un mandat d’amener. Roland FARJON, très abattu, obtient, grâce à l’intervention amicale de quelques compagnons, de rester libre et convient d’un rendez-vous avec la police le 21 juillet. Roland disparaît. Personne ne le reverra plus vivant.

La police retrouve des lettres où Roland annonce son suicide, proclame son innocence, explique sa profonde amertume.

La légende s’implante : Roland FARJON coupable, Roland FARJON en fuite… car ils sont nombreux ceux qui doutent de sa mort et attestent l’avoir revu bien vivant des années plus tard. (15)

Alors ? Quelle vérité dans tout cela ?

Roland FARJON, courageux jusqu’à la témérité, est sans doute coupable de maladresse mais pas de trahison. Il est évident que des hommes sont tombés du fait de ses imprudences, et il le reconnaît lui-même. Toutefois, il ne peut être responsable de 1.800 arrestations comme l’affirme Auguste COPIN dans le journal L’Humanité en mai 1946. L’O.C.M. a globalement tenu pendant deux ans mais son action extrêmement nuisible à l’occupant lui a valu toute l’attention des services allemands dont l’effrayante et remarquable efficacité sont une évidence incontestable. C’est cette traque policière, méthodiquement organisée, qui est responsable de la chute de l’O.C.M. ; Roland FARJON en est une victime.

Soixante-dix années plus tard, déclencher de nouvelles polémiques sur la culpabilité de Roland FARJON relève d’une recherche du sensationnel et peut-être aussi d’une fâcheuse habitude à toujours vouloir chercher des traîtres plutôt que d’admettre que l’adversaire, à tel ou tel moment était le plus fort. L’enquête, passionnée et passionnante, menée par Gilles PERRAULT, parue en 1975, allait déjà à cette conclusion et démontrait déjà ce que nous considérons comme une évidence : il fallait un courage insensé pour s’engager dans la Résistance en 1941. Roland FARJON était de ces hommes.

Les derniers mots reviennent à Gilles PERRAULT : « Ultimes rayons de soleil venus éclairer son crépuscule… Tout de même, est-il possible que tant d’hommes, et si divers, aient ensemble aimé un salaud »

(1). Roger FARJON (1876-1945), industriel, maire de Boulogne-sur-Mer en 1919 et sénateur du Pas-de-Calais en 1920, vice-président du Sénat de 1936 à 1939, pressenti comme successeur d’Albert LEBRUN à la Présidence de la République.

(2). François de La ROCQUE (1885-1946), Saint-Cyrien, plus jeune chef de bataillon en 1918, Croix de guerre avec neuf citations, président de l’Association des Croix-de-Feu (1932-1936) puis président-fondateur du Parti Social Français, fidèle au maréchal PETAIN mais peu favorable au régime de Vichy, arrêté en mars 1943, déporté à Eisenberg puis interné au château d’Itter avec d’autres personnalités. François de La ROCQUE est interné administrativement à son retour en France, ceci afin de l’écarter de la vie politique du pays.

(3). France FARJON (née en 1940), deuxième des quatre enfants de Roland FARJON et Monique SAINSERE qui est une cousine de Charles De GAULLE.

(4). Jean BOROTRA (1898-1994), polytechnicien, joueur de tennis (un des Quatre Mousquetaires de l’équipe de France), membre du P.S.F., Commissaire général à l’Education générale et aux Sports du gouvernement de Vichy (1940-1942), arrêté par la Gestapo en novembre 1942, déporté à Sachsenhausen, puis interné au château d’Itter avec d’autres personnalités.

(5). Jacques ARTHUYS (1894-1943), Industriel, membre de l’Action Française, un des créateurs de l’O.C.M., arrêté en décembre 1941, déporté le 9 octobre 1942, mort le 9 août 1943. Il entraîna dans l’aventure de l’O.C.M. sa secrétaire, Vicky OBOLENSKI.

(6). Alfred TOUNY (1886-1944), Saint-Cyrien, industriel, lieutenant-colonel de réserve, un des fondateurs de l’O.C.M. et le responsable de la branche renseignements, arrêté le 25 février 1944, fusillé à Arras en avril, Compagnon de la Libération, inhumé dans la crypte du Mémorial de la France combattante, au Mont-Valérien.

(7). L’O.C.M. revendique 45 à 50.000 membres.

(8). René COGNY (1904-1968), polytechnicien, prisonnier de guerre évadé, un des responsables de l’O.R.A., déporté à Buchenwald le 12 mai 1944, enregistré sous le matricule 51655 et affecté à Dora, libéré à Bergen-Belsen. Le général COGNY, surnommé par ses hommes le « général Vitesse » est mort dans un accident d’avion en 1968.

(9). Jean-Edouard VERNEAU (1880-1944), polytechnicien, colonel en 1940, un des fondateurs de l’O.R.A., déporté à Buchenwald le 12 mai 1944, enregistré sous le matricule 51645 et mort au camp le 15 septembre 1944, promu général de division à titre posthume.

(10). Roger COUETDIC (1912-2003), capitaine au 11e Régiment d’Artillerie Lourde Coloniale en mai-juin 1940, responsable de l’O.R.A. pour l’Est, déporté à Buchenwald le 12 mai 1944, enregistré sous le matricule 49637 et affecté à Dora – Dans son Histoire de la Résistance, parue en 1976, Henri NOGUERES mentionne à la place de Roger COUETDIC le nom d’ « un autre officier de l’O.R.A., MONTENGON ». Or, Jean de MONTANGON, dit LIENART, sera arrêté le 3 juin 1944 avec Pierre LEFAUCHEUX. -

(11). Abwehr, Service de renseignement de l’armée allemande.

(12). SD, Sicherheitsdienst, Service de Renseignement de la S.S.

(13) Pierre PENE (1898-1972), polytechnicien, ingénieur des Ponts et Chaussées, ingénieur en chef des Travaux publics dans l’Aisne en 1940, chef de l’Armée Secrète pour l’Aisne et les Ardennes en 1943, membre du Comité directeur de l’O.C.M., Compagnon de la Libération – Son exécution était programmée pour le lendemain de son évasion.

(14). Marc O’NEILL (1909-1956), délégué Militaire de la région P2 qui couvre notamment le Loiret et l’Eure-et-Loir, Compagnon de la Libération, tombé en Algérie, il repose auprès de ses hommes dans la clairière de Lorris (Loiret).

(15). Il y en a d’ailleurs dans les rangs même de notre Association.

Bibliographie

Michèle et Jean-Paul COINTET, Dictionnaire historique de la France sous l’Occupation, Editions Tallandier, 2000

Fondation pour la Mémoire de la Déportation, Livre Mémorial des déportés de France, Editions Tirésias, 2004

Alain GUERIN, Chronique de la Résistance, Editions Omnibus, 2000

Gilles PERRAULT, La longue Traque, Editions Fayard, 1975 et 1998

Jehan de MONTANGON, Un Saint-Cyrien des Années 40, Editions France-Empire, 1987

Merci à Anne et Mathieu pour leurs conseils clairvoyants

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